J’ai craint qu’elle ne soit plus là. Qu’elle
nous ait quittés. Peut-être n’a-t-elle pas autant perdu la tête qu’elle
voudrait me le faire croire. Peut-être veut-elle simplement me raconter une
autre vie. Celle qu’elle aurait voulu avoir, vivre. Tout ce dont elle a rêvé.
Elle m’en parle, chaque jour. Son histoire change, toujours. Chaque fois. Entre
la vérité, ce qu’elle aurait voulu vivre, et ce qu’elle a interprété, ses
histoires évoluent, varient, changent. Tout ce qui importe, ces histoires sont
elle. Qu’elles soient vraies n’est pas la question. Mais en tant que
photographe, ce qui importe est de savoir ce que l’on va voir ou ne jamais
voir. Faut-il les rêver ? Faut-il les créer ? Faut-il les oublier ?
Je tombe sur Marie-Claude, au bout d’un chemin sans
issue dans un lieu-dit perdu des Monts d’Arrée bretons en avril 2014. « Tu
viens voir mes poupées ? » me lance-t-elle, en m’indiquant mon chemin. Dans sa
maison de bric et de brocs je découvre un monde que je ne quitterai plus. Qui
me hante et m’emplit de joie à la fois. Cette vieille dame de 75 ans, cette
ancienne, pêcheuse et couturière attachante et effrayante que je découvre me
touche, me parle de moi, de ma mère et de ce que je suis aujourd’hui. Elle
interroge la rébellion qui est en moi et qui ne veut s’éteindre. Elle me montre
que tout persiste et rien ne s’éteint. Elle n’a jamais eu d’enfant. Est-elle
femme ? Est-elle enfant ? Est-elle folle ? Suis-je folle ? Autour d’elle, tous
la fuient, sa particularité, son caractère, elle n’a jamais suivi les rails,
les règles de la communauté. Une marginale. Un peu comme moi, parfois. Un peu
comme nous tous en fait, sauf que certains n’osent pas.
Photos et texte:
Mélanie
Wenger
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