Il y
a quelques jours, j’ai dîné avec un photographe que je connais depuis une
trentaine d’années. Un de ces photographes qui a tout fait dans sa
carrière. Plusieurs conflits, d’énormes prises de risques, avec beaucoup de
talent, mais également tout ce qu’on lui a demandé : mode, politique, tapis
rouges, illustrations diverses. Sans
compter quelques très beaux sujets magazines. En un mot, un poids lourd du
métier. Il a travaillé pendant 30 ans, jusqu’au jour où, comme
tant d’autres, il a été remercié. Crise des agences, raréfaction des commandes.
Un triste refrain auquel on a dû s’habituer, année après année…
Bref, notre ami comptait, à juste titre, sur une
exploitation raisonnable de ses archives. "Quelle naïveté ! C’était compter sans
une pratique de plus en plus répandue : le forfait. Pour ceux qui l’ignorent,
cela consiste en des formules d’abonnements afin de répondre à une demande
souvent pressante des journaux et groupes de presse. Tu
prends 10, 15 ou 20 photos par jour, et nous, on te facture au forfait. 1 000, 2 000 ou 5000 euros par mois". Finalement, notre professionnel chevronné
reçoit son relevé de compte pour le mois dernier. Montant dû ? Moins de… 195
euros! Un news magazine publie une photo des printemps arabes pour 0,58 euros. Une
photo de la chute du mur de Berlin ? 0,88 euros. Et tout à
l’avenant! Le photographe est furieux! On le serait à moins… Il lâche: " Mes photos valent moins qu’un préservatif " .
J’aurais aimé que cette histoire ne soit qu’un cauchemar. J’aurais pu la raconter en riant. Hélas, c’est une histoire vraie. Et malheureusement très courante. À force de vouloir vendre la photo au kilo, on va finir par la tuer ! Si 25 ans d’archives ne valent même plus 200 euros par mois, cette profession est vraiment mal barrée. Il serait temps que tous les acteurs, producteurs, diffuseurs et acheteurs de photos de qualité réalisent qu’en accédant aux demandes les plus extravagantes de leurs financiers, ils sont en train d’enterrer ce métier. Sans production aujourd’hui, de quoi seront faites les archives de demain ?
Photos:
Patrick Zachmann
Texte:
Jean-François Leroy
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